1er épisode -les préliminaires-
« Mais gare-toi là » « Non, tu vois bien : piétons, vélos, y a un p’tit chemin, là » « Mais ça ne fait rien » « Si, ça fait, je ne me garerai pas là » Elle m’énerve, mais dans l’fond, cette attitude, dans ce pays, ça me plait, ça fait partie de son charme.
« Von mir aus, je descends ici pour garder les places parce que si on n’est pas là à temps, ils les donnent à d’autres ; tu me rejoins, tu sais où : Bibliothekssaal ». Bah, ‘suis jamais tellement à l’avance ; c’est un euphémisme.
Ai trouvé à me garer, tandis qu’elle est certainement déjà à la salle. Dans la cour de cet immense Schloss baroque, des gens s’affairent à monter ou démonter des installations provisoires. Une jeune dame demande visiblement sa route pour das Konzert. Grands gestes ; je devine les explications. « Tiens, j’aurais été par la gauche, mais faisons confiance aux autochtones. C’est du sérieux, ici, quand-même, et en plus la dame a l’air sympa. » Je lui emboite le pas. « Es ist fûr das Konzert im Bibliotheksal ? Ich auch ». Nous avons fait tout le tour de ces colossales bâtisses, on nous a dit : « Immer geradeaus » ou « nach links » ou « nach rechts » Oui, sans doute on pourrait arriver par là, si toutes ces portes n’étaient pas fermées. Mais tous comptes faits, je suis déjà venu ici, il faut quand-même que je lui dise « Ach doch, ick glaube ich kenne den Wege, willst du mit mir kommen (directement le –du- , je ne m’y retrouve pas entre les –Sie- et les Ihr-) ? » Et il s’avère que, dès le début, j’avais vu juste, c’était ben à gauche. Allez suivre la femme !!!
« Schnell, dépêchez-vous, Reihe 14, on ferme les portes ». Un peu plus loin, avec un sourire goguenard « Ach vouss avez dû chercher pour das Parking ! Schnell ! Schnell » .C’est pas bien, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’en d’autres temps…..
Les larges escaliers, le tapis rouge sur le parquet ciré et enfin la salle, cette Bibliotheksal en sucre d’orge baroque ; mon accompagnée va de son côté – je sais déjà qu’elle habite à quelques kilomètres mais n’est jamais venue ici- ; moi, je –Entshuldigung- rejoins ma –Entschuldigung- première –Vielen Dank- moitié bien installée à la Reihe vierzehn. Sourire, le sien qui veut dire « mais qu’est-ce que t’as encore fabriqué ? » ; pas possible de placer un mot. Les portes sont fermées. Que fait le présentateur ? Il présente. Et que fait le jeune concertiste ? Après un joli salut au public sous les applaudissements, il concerte, tandis que je commence à peine à me poser . Regard sur le programme. Les premières notes sont de J.S. Bach Ils en avaient de ces titres, à l’époque : « Je t’appelle, Seigneur Jésus-Christ », enfin, c’est comme maintenant, il fallait déjà prier le sponsor et le mettre en évidence (bon, disons « mécène »). Ach, Jesus Kristus, wie schön ist das Leben !!
2èmeépisode. Première partie.
Les yeux détachés du programme. Ach, jouissons de l’instant. Une magnifique salle, ai-je laissé entendre, mais avant de l’admirer à nouveau, et même avant que J.S Bach ne m’atteigne, gloups , vous ne pourriez pas imaginer ce qui cale tous mes sens.
Horizon bouché, sur fond blanc, une trame régulière, alternance de bandes verticales noires et rouges, de quatre millimètres de large, espacées chacune de six millimètres, croisées à l’horizontale de bandes de mêmes caractéristiques, mais noir et rouge subtilement plus légers. Vous êtes perspicaces, vous aurez deviné : légèrement décalé ( et c’est heureux quand-même) sur la gauche, à la Reihe dreizehn, devant moi, un tissu, à carreaux, une chemise– à courtes manches- c’est l’été- une chemise à carreaux rouges et noirs Une kolossalle finesse au milieu d’un décor délicieusement baroque aux courbes subtiles et toujours aussi « modernes », aux teintes claires, acidulées mais contrastées, relevées jusqu’à l’éclat, là où il le faut.
Bach et puis Beethoven. J’aurais pu brancher mon cerveau sur le processus de la synesthésie, pour vivre la musique directement en formes, en couleurs. Vous, par exemple, que ce morceau de Bach, fort éloigner de ses grands opus pour orgues, mènerait plutôt à la méditation, vous vous seriez imaginé dans votre atelier, à retourner doucement des peintures anciennes, à les écouter et dialoguer avec elles, à sentir la vie naître de vos ouvrages en chantier, à prendre amoureusement en main vos outils, à imaginer quelque geste. Les assauts de Beethoven auraient pris la forme de vos pots de peinture, en 10 fois plus gros, qui auraient brisé leurs entraves et auraient, toutes couleurs confondues, explosé sur vous, tandis que les dernières harmonies vous auraient lavé les yeux, la bouche, les oreilles, vous invitant à….
Mais moi…. la chemise à carreaux ! La salle, oui, la musique, oui, mais surtout la chemise à carreaux rouges et noirs. Seul objet de ma réflexion en ce moment : l’interaction, dans mon ressenti, de celle-ci avec cet environnement-là. J’en viens à me demander si le concepteur de ces lieux ait pu imaginer un seul instant, tout d’abord que sa bibliothèque deviendrait salle de concert sans gradin et ensuite mais surtout, que s’y installeraient des chemises à carreaux. Ah, oui, très intéressante, cette idée soudaine : faire des recherches sur l’historique de la chemise à carreaux : époques, lieux, circonstances sociales, économiques, environnementales (du durable, quoi).
Mon esprit ayant trouvé un os à ronger pour plus tard, enfin tourner la tête, oh, pas de beaucoup, vers la droite, vers la veste compagne de la chemise. Cette veste chic d’un tissu épais bleu foncé, ma parait bien trop chaude et je parierais que Madame n’y tiendra pas ; ce ne doit pas être très confortable.
Holà, applaudissements, à Chopin maintenant. Là, la synesthésie opère immédiatement. Les notes romantiques frétillent, je les vois, réelles, devant mon nez, enfin j’en vois deux, ni blanches ni noires, plutôt bleutées. Elles dansent la mazurka, les boucles d’oreille de la dame à la veste épaisse (elle va encore avoir plus chaud). Bien qu’à l’entracte, ma moitié m’affirmera que je vois « schief », je reste persuadé que l’une est plus grosse que l’autre, tout en étant de forme identique. Malheureusement, mener les investigations plus avant par des méthodes tactiles, paraîtrait déplacé ; je dois me résoudre à continuer à vivre avec cette question ouverte.
-ouh la la, encore beaucoup à raconter, le concert n’est pas fini. Enfin, on verra pour la suite. Bof, oui, une suite viendra, ou ne viendra pas.
Doch, noch einmahl, wie schön ist das leben !!
Luc Delvaux
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